L’histoire est à peine croyable : la marine a dû démonter un équipement d’autodéfense juste avant un face-à-face tendu avec les Russes en Méditerranée.
La frégate Normandie, qui a accompagné le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle ces derniers mois en Méditerranée dans un contexte de très fortes tensions avec la Russie, n'était pas équipée de brouilleurs antimissile. L'histoire est à peine croyable : faute de budget, ces éléments essentiels pour la défense du navire avaient été démontés afin d'être installés sur la dernière frégate multimissions (FREMM)
française, la Lorraine, qui doit être livrée fin 2022. « Ce dispositif de guerre électronique actif constitue l'un des systèmes d'autoprotection du bâtiment et l'une de ses ultimes lignes de défense », détaille le site spécialisé Mer et Marine, qui a dévoilé l'information une fois la mission Clemenceau 22 achevée.
Les brouilleurs, installés de part et d'autre du navire à la base du mât (voir photo ci-contre, dans les cercles rouges ajoutés par nos soins), servent à neutraliser les autodirecteurs de missiles ennemis et donc à se protéger des frappes des navires, des avions et des défenses côtières. Ils sont aussi capables d'aveugler les radars côtiers. Ces blocs massifs peuvent être démontés et remontés, moyennant une opération relativement lourde qu'il n'est pas possible de mener avant ou après chaque déploiement. Pourtant, la marine nationale n'a pu en commander que sept paires pour les huit frégates multimissions dont elle dispose.
«Une anomalie », reconnaît la marine
Le 10 avril, la Normandie a regagné Brest, son port d'attache, après un déploiement de trois mois en Méditerranée, le premier depuis son admission au service actif en 2020. Flambant neuve, cette frégate de premier rang est destinée à des missions plus atlantiques que méditerranéennes, généralement moins au contact des tensions internationales. C'est probablement ce qui a poussé l'état-major de la marine à lui retirer ses brouilleurs pour les installer sur la Lorraine, qui doit effectuer ses essais à la mer de préférence avec tous ses équipements, puis qui opérera depuis Toulon.
« Le fait que la Normandie n'ait pas de brouilleurs est une anomalie dans le parc des FREMM », reconnaît le capitaine de vaisseau Thibault Lavernhe, porte-parole du commandant en chef pour la Méditerranée et la mer Noire. « La situation en Méditerranée orientale fait que l'on peut tout à fait se permettre d'envoyer une FREMM qui reste équipée d'une autodéfense conséquente, même en l'absence de brouilleurs », précise-t-il, assurant que malgré « une logique d'affirmation mutuelle de présence », il n'y « a pas eu de moment de friction avec les Russes ».
Une vingtaine de navires de guerre russes en Méditerranée
Cette décision de retirer les brouilleurs est un choix budgétaire contraint, héritage des années de disette pour les armées entre la fin de la guerre froide et la remontée en puissance lancée en 2017. Leur absence pourrait se révéler difficile à tenir avec l'aggravation des tensions internationales. Dépourvue d'une de ses défenses, la Normandie s'est trouvée dans une position clé au sein du groupe aéronaval déployé en Méditerranée au moment où la Russie a envahi l'Ukraine. Soudainement, la vingtaine de navires de guerre russes croisant dans ces eaux sont devenus des unités plus menaçantes. « Nous observons un doublement, voire un triplement de la présence russe, avec la présence de croiseurs et de destroyers, ce qui n'est pas habituel en Méditerranée », précise d'ailleurs le capitaine de vaisseau Lavernhe.
Durant sa mission, la Normandie a mené des manœuvres avec la marine libanaise et a donc probablement opéré à proximité immédiate des deux grandes bases russes en Syrie : Tartous et Lattaquié. Les marins français n'auraient pas disposé de tous les outils nécessaires pour combattre si cela s'était avéré nécessaire, et étaient quoi qu'il en soit dans une situation défavorable pour maintenir une posture solide face à d'éventuelles intimidations russes, par exemple des illuminations au laser (préalables à une procédure de tir), comme la frégate Courbet en a subies de la part de la marine turque en 2020. Interrogée par Le Point, la marine nationale confirme des « arbitrages financiers » passés et précise qu'une « demande d'achat de brouilleurs destinés à équiper la Normandie a été exprimée ». En attendant, ce manque de brouilleurs s'apparente plus à des économies de bouts de frégates que de bouts de chandelles…
Et macron qui veut faire la guerre à la Russie ! Avec quoi ?