31.10.2022
Plusieurs politiciens et experts, évoquant l’avenir de l’Ukraine dans le cadre du conflit actuel, parlent de l’utilité d’un nouveau plan Marshall pour ce pays. Il serait erroné de considérer ce plan Marshall comme une source illimitée de ressources financières injectées dans l’économie de l’Europe occidentale.
Le plan Marshall initial, destiné au redressement économique de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, a été mis au point et lancé par l’administration de Harry Truman au milieu du XXe siècle. Et à ce jour il est considéré comme l’un des grands projets les plus réussis de la reconstruction post-conflit.
Étant donné que les ressources financières dans le cadre du plan Marshall ont été réparties entre 17 pays et territoires, même les plus grands bénéficiaires ont reçu une somme relativement modeste: 3,3 milliards pour le Royaume-Uni, 2,3 milliards pour la France, 1,4 milliard pour la RFA et 1,2 milliard pour l’Italie.
Les experts estiment que ces fonds américains ont accéléré la croissance des économies européennes directement d’environ 0,5% par an en moyenne. L’importance du plan ne résidait pas tant dans les montants d’aide absolus que dans le fait que ce mécanisme a permis de lancer des processus naturels de relance économique de l’Europe: la reprise du secteur privé, la hausse du commerce entre les pays européenne, l’augmentation de l’activité nationale d’investissement et la mise en place de nouvelles institutions économiques.
Par rapport à la situation actuelle, cela implique que l’aide étrangère en tant que telle ne sera pas le seul ni le principal moteur du développement post-conflit de l’économie ukrainienne. L’Ukraine doit encore obtenir des succès décisifs dans des secteurs tels que la lutte contre la corruption, l’indépendance du système judiciaire et l’augmentation de la qualité de la gestion publique à différents niveaux. Tout plan Marshall potentiel pour l’Ukraine n’est pas un substitut aux réformes intérieures encore inachevées, ce n’est que l’un des instruments possibles pour contribuer à ces réformes.
Le financement de l’Europe occidentale à la fin des années 1940 et au début des années 1950 était possible car les États-Unis se trouvaient à l’apogée de leur puissance économique et financière, c’est pourquoi ils pouvaient sans problème allouer 13 milliards de dollars aux pays européens. Mais aujourd’hui, les États-Unis sont accablés par des problèmes financiers bien plus graves, et il ne faut pas s’attendre à une générosité incroyable de la part de Washington. D’autant que les États-Unis se sont déjà engagés à assumer le rôle principal dans l’octroi de l’aide militaro-technique à Kiev.
Compte tenu de l’importance de l’Ukraine pour les pays de l’UE, il serait logique de supposer que c’est Bruxelles qui deviendrait le principal donateur pour l’Ukraine post-conflit, mais la situation financière de l’UE, y compris l’Allemagne en tant que principal sponsor potentiel du nouveau plan Marshall, laisse à désirer.
Il ne reste plus qu’à compter sur les fonds de la Banque centrale russe, bloqués en Occident après le 24 février 2022. Il n’est pas encore possible de faire un pas décisif pour passer du blocage à la saisie, mais tôt ou tard cela sera certainement fait. Cependant, il existe plusieurs autres prétendants qui revendiquent cet argent russe. Par conséquent, les 300 milliards de dollars d’avoirs russes bloqués ne sont pas un portefeuille infini où il est possible de prendre de l’argent à volonté. Il serait possible de soutirer à la Russie bien plus pour atteindre le niveau annoncé de 600-800 milliards de dollars uniquement en cas de capitulation totale et sans conditions du Kremlin, ce qui est peu plausible aujourd’hui.
De toute évidence, la reconstruction de l’Ukraine prendra beaucoup de temps quelle que soit l’issue de la crise actuelle. À noter également une autre particularité du plan Marshall. Ce programme a été lancé deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand les hostilités en Europe avaient complètement cessé et dans l’ensemble l’ordre européen d’après-guerre était déjà mis en place. Par analogie avec notre époque, dans le cas de l’Ukraine, un plan Marshall réussi n’est possible qu’une fois que le conflit sera terminé et avec le rétablissement d’un niveau minimal de stabilité sur le continent européen.
Andreï Kortounov, docteur en Histoire, Directeur général du RIAC (Conseil russe des affaires internationales)
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