A chief de piece il [s.e. : Cuer] il se osta de pensee et vit le jour bel et clier et le souleil qui commençoit a rayer, si se leva tout droit et commença a environner [faire le tour] la fontaine et le ma[r]bre et vit l'eaue de la fontaine, noire, hideuse et malnecte, si que pour riens n'en eust beu le soir s'il eust veue comme il faisoit. Et au perron avoit lectres entaillees et escriptes lesquelles il leur, qui disoient ainsi :
1 | Droit cy devant soubz ce perron
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Nicolas Poussin "Danse de la Musique du Temps" 1640 commande du Cardinal Giulio Rospigliosi :
Esquisse du Wallace Collection Londres. On peut remarquer que Poussin ébauche l'idée générale, sans tenir compte de tracés occultes de géométrie, esquisse/devis au commanditaire sur la forme et le mouvement général, le fonds est discuté de vive voix ou avec intermédiaire sur la signification à ordonner et agencer, si ce n'est déjà préconisé par avant. Pourquoi tant de précautions. Pour les raisons évoquées ci-dessous :
Allégorie de la Fortune, la pauvreté, le travail, la richesse et le plaisir sous l'oeil de Chronos, la statue de Janus et les bulles de Chérubin. Cependant qu'Apollon et Aurore dévident le cycle des jours et des nuits. Le Temps est exprimé par le sablier, on peut aussi penser au cycle des saisons, ce dernier au sens plus général est souligné par trois fois : la ronde, Apollon tenant un cerceau symbolisant le Soleil, les bulles éphéméres, et sous-jacent la course au semblant circulaire du Char d'Apollon. Chronos maître du Temps pinçe les "Cordes" de lyre du Temps dans cet espace de jeu ; Janus rapelle l'avers et le revers d'une même monnaie, ce qui ramène a l'enluminure de la Fontaine de Fortune, sur l'Espoir et le Désespoir, la Mélancolie, l'alternance des sentiments inhérents à la condition humaine et sa "Fortune", c'est à dire à son sort. L'un vision médièvale " soleil gâté", eau d'amertume par l'artifice de la Fortune ironisant sur la phrase de Virgile :
""La fortune sourit aux audacieux."
Poussin lui préconise dans son oeuvre en un temps nouveau celui-ci du même Virgile :
"Felix qui potuit rerum cognoscere causas Atque metus omnes et inexorabile fatum Subjecit pedibus,strepitumque Acherontis avari!"
«Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses, et qui, foulant aux pieds toute crainte, méprise l'inexorable destin et les menaces du cupide Achéron !»
Deux temps, deux visions.
Quelques lignes géométriques :
- Les cinq lignes horizontales au dessus de la ligne médiane du tableau , représentent les lignes musicales ou l'on inscrit les notes. La Musique des sphères célestes. Outre la complexité géométrique de l'ensemble, ou les tracés sont occultés, Poussin suggère forcément plusieurs lectures, notamment la lecture du "Harmonice Mundi" de Képler publié en 1619, où l'Univers est soumis à des lois harmoniques et où les planètes se voient attribuer un thème musical. La variation des vitesses de rotation de chaque planète est symbolisée par des notes musicales. Une loi par exemple :"Le carré de la période est proportionnel au demi-grand axe de l'ellipse"
Kepler suit le parcours de l'Héliocentrisme initié par Copernic, puis Rhéticus, dans le "Mysterium Cosmographicum" ; Kepler modélise la dynamique de l'Univers sous la forme des polyèdres réguliers :
- Saturne - le Cube,
- Jupiter - le Tétraèdre,
- Mars le - Dodécaèdre,
- Vénus - l'Isocaèdre,
- Mercure - l'Octaèdre,
En outre au modèle Copernicien de circularité des révolutions des planètes, est transposé celui de circonvolutions élliptiques.
Képler fait publier également "Astronomia parsoptica" et "Dioptricrae" dans lesquels il développe les principes modernes de la nature de la Lumière, Chambre obscure, miroirs, lentilles et réfraction et il connait la perception des images par la vue en inversion-traduction. Ces derniers principes (dont certains calculs sont finalisés par René Descartes) sont utilisés en peinture.
Voilà donc un hommage par la peinture de Poussin aux dernières recherches scientifiques du temps, sous différents angles et degrés. Chronos pince les cordes de la lyre émettant les vibrations et les variations nécessaires à l'Harmonie du Monde, son regard est fixé sur le bas des ellipses de la colonne de Janus lui même représenté par quatres cercles-sphères, la vision traverse l'enchaînement des mains de la danse (qui n'est pas nommée ronde dans l'intitulé du tableau) ou du cycle; cette union harmonieuse sans laquelle rien n'est possible.
Ce tableau donne une clé, chérubin tient le sablier à forme de huit, ou clé d'Hermès, nombre réversible et ré-verbère, symbole de l'infini, ou celui qui lie le haut et le bas, l'un étant indissociable de l'autre....
Rien de bien sensationnel semble-t-il, et bien non si on le lie a l'Histoire politique de l'époque :
Le système de Copernic est condamné en 1616 par le Cardinal Bellarmin, l'Héliocentrisme est non conforme à l'idée que l'on doit se faire dans la chrétienté catholique suivant les Testaments du "Tabernacle de l'Univers" et la vision philisophique dite Aristotélicienne ou géocentrique du Cosmos. La terre étant ce "Tabernacle" figé et fixé depuis Ptolémée, du moins officiellement.
Plusieurs hommes au sein même de l'Eglise soutiennent les précurseurs de l'Héliocentrisme, à l'encontre des doctrines du parti conservateur du géocentrisme. Maffeo Barberini membre de la Curie romaine s'interesse de près à cette nouvelle théorie, il se lie d'amitié avec Galilée (Galileo Galilei), lequel lui dédit un poème "Adulatio Perniciosa".
Le 20 janvier 1621 Galilée devient Consul de l'Académia Fiorentina, le 29septembre 1623 Maffeo Barbérini est intronisé Pape sous le nom d'Urbain VIII, Galilée qui a reçu l'autorisation papale publie Sagiattore dédié au nouveau souverain Pontife. Urbain commande à son ami l'ouvrage Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde, présentant les deux systèmes ; le géocentrique Aristotélicien et le l'héliocentrique Copernicien de façon tout à fait impartiale, ce qui lui vaut immédiatement sa traduction en procès par l'Inquisition, procès qui se déroulera du du 23 septembre 1632 au 22 juin 1633, au terme duquel l'Inquisition obtient la condamnation et l'abjuration du savant florentin. Francesco Barberini membre du tribunal Inquisitorial est l'un des deux cardinaux qui refusèrent de signer la condamnation du savant, prenant ainsi la tête du parti de la Clémence.
Le parti conservateur pro- espagnol cheville ouvrière de la Contre Réforme mené par les Borgia ; alors qu'au dehors avait lieu la Réforme, sur fond de Guerre de Trente ans et que les forces protestantes de Gustave Adolphe II de Suède volaient de victoires en victoires ; veut atteindre personnellement le souverain Pontife en le déstabilisant par l'affaire Galilée. Finalement souhaitant qu'Urbain par amitié se positionne en faveur de la "doctrine hérétique" de l'héliocentrisme, plus ou moins enseignée dans les Universités protestantes de manière officieuse, mais sans mesure coercitive.
Urbain VIII essaie d'échapper au complot ourdit par les Borgia, en transigeant avec Galilée son abjuration afin de lui éviter le bûcher et l'anathème. pour d'obscures raisons aux conséquences implicites théologiques évidemment toujours à visées procédurières le parti des Borgia échafaude des griefs mineurs, aux principes fallacieux, un procès en sorcellerie qui n'a pour but que la mise en difficulté ou la destitution du Pontife. Galilée est hélàs sacrifié sur l'autel de la politique, mais son toujours ami Barbérini adoucit considérablement sa détention.
- Quod non fecerunt Barbari, fecerunt Barberini « ce que n'ont pas fait les barbares, les Barberini l'ont fait »
dans l'énumération de Saint Malachie - Lilium et rosa -
Urbain VIII devient l'un des commanditaires de Poussin. Barbérini pratique le sport du népotisme non sans effets négatifs quand il s'est agit de la création de la Bibliothèque Barberini intégrée à celle du Vatican en 1902 par acquisition de Léon XIII. Comme toute propulsion népotique et excès politique, la famille assez prolifique et autogénérée sacerdotalement, abusa de ses fonctions jusqu'au terme de leur bienfaiteur le 29 juillet 1644. Ils s'enfuirent précipitamment en France sous la protection du Cardinal de Mazarin qui devait faire mentir le proverbe " l'ingratitude est le sceau de la politique", en effet il devait son élévation de statut civil a celui de la pourpre cardinalice à cette famille.
Quel rapport avec ce fameux tableau !!!
Et bien son commanditaire : Giulio Rospigliosi collaborateur intime de Mafféo Barberini ou Urbain VIII. Ah oui j'oubliais Giulio Rospigliosi est élu souverain Pontife le 20 juin 1667 sous le nom de Clément IX. Autre oubli impardonnable, "Les bergers d'Arcadie" du Guerchin se trouvaient dans la Bibliothèque Barberini. Ceux qui Poussin devait à son tour produire.
Outre cette accumulation de coïncidences, Clément IX emploi Cassini pour le gestion du fleuve Pô, du Reno pour la régulation des crues mais également de multiples fortifications (Urbino et Pérouse). Clément autorise temporairement Jean-Dominique Cassini à quitte l'Italie pour rejoindre la France, en effet Louis XIV, désireux « de rendre la France aussi florissante et aussi illustre par les lettres qu'elle l'était par les armes » charge Colbert d'associer Cassini à l'Académie Royale des sciences. Cassini est l'un des premier à utiliser le gnomon a l'intérieur d'église de Bologne à des fins scientifiques, C'est celui qui reprit le flambeau de l'astrophysique Galiléenne, ses travaux confirmèrent les recherches de Képler, mais entre 1656 et 1659 soit plus de 16 ans après le tableau de Poussin. Casssini est le fondateur de l'Astronomie française, il s'installe définitivement en France en 1669 et obtient la nationalité française en 1673, ainsi il n'a plus a craindre les censures telles que celles de l'Inquisiteur de Modène en 1661. Ce même travail sur la méthodologie de détermination des longitudes terrestres par l'observation des éclipses de Soleil sera publiée en France en 1670. Cassini logera à l'Obersatoire point de fixation du Méridien de Paris le 21 juin 1667 par les Académies, c'est à dire avant l'arrivée de ce dernier. Cassini achève de mesurer le Méridien en 1718, sa famille poursuivra son oeuvre. On doit entre autre aux Cassini les fameuses cartes.
Les recherches de Kepler confirment donc celles de Copernic et Galilée, Kepler est nommé de 1601 à 1612 mathématicus de Rodolphe II de Habsbourg, remplacant le mathématicus Nicolas Baer (Bär) ou Ursus (1551-1600). Par de "multiples coïncidences, ou d'heureux hasard", le flambeau est repris inlassablement pour aboutir parfois sous forme d'oeuvres d'art là ou normalement elles étaient censées ne pas être officiellement.
J'espère que vous aurez pris plaisir à cette petite présentation un peu sommaire d'une oeuvre baroque mais assez hermétique.
Henry